A Bernard, roboticien, sculpteur et alpiniste.
L’inalpe des animaux : monter dans l’alpage pour paître (marcher, se nourrir et regarder) dans plus d’espace et de fraîcheur.
Inalpe des humains : être en recherche de marches, de nourritures et de paysages ; de muscles, de sacré, de pierres de granite ; comme un réfugié à l’hospice du Grand-Saint-Bernard est en recherche de Dieu ; et en ascendre ses paroles, comme on se met soi-même à l’épreuve des cols et des crêtes, qui élèvent notre corps : les affiner et les raréfier, comme les bulles d’un champagne goûtées à l’occasion des fêtes de l’esprit seulement.
Monter assez haut pour avoir moins le verbe haut, et espérer celui-ci aussi rare et préservant des neiges précieuses, qu’un glacier.
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Une journée de ski de préférence, au moins à quelques années d’intervalle, sur des pistes qui font bien glisser et contempler à la fois (plus on y contemple à leur sommet et plus on y glisse) : pour parvenir à skier sur les événements de la vie.
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Almure et étymonts
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Le cirque de Derborence.
Des gypaètes barbus ont élu domicile dans le cirque géologique de Derborence.
C’est tout l’inverse du cirque-spectacle car les humains ne peuvent observer les gypaètes que tôt le matin, sinon ces oiseaux rares sont dérangés dans leur métabolisme.
Le cirque de Derborence a été causé par des éboulements au XVIIIe siècle, confirmant la vertu de l’isolement relatif pour développer les formes de vie les plus rares, comme pour nos pensées les plus savoureuses.
Le gypaète mange volontiers de la viande, mais aussi les os, que les autres estomacs charognards ne savent digérer ; il aime la moëlle comme les fins gourmets de l’esprit goûte la “substantifique moëlle” chère à Rabelais.
Il faudrait se faire gypaète en métaphore : se nourrir de ce que les autres ne peuvent ingérer – Nietzsche n’a-t-il pas écrit qu’un homme ne vaut que par la quantité de vérités qu’il est capable de supporter ?
Les plumes de la barbe du gypaète deviennent orangées quand il est mûr, preuve que l’ingestion de l’incomestible rend plus beau et plus mystérieux.
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Levé aux aurores à Combloux : « Quand je n’ai pas pris mon café, je ne suis pas moi-même. »
Bernard : « Ça peut faire du bien, d’être une autre personne. »
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18h de sommeil + croisement raisonné de races + caresses = Chien-Bernard intelligent, calme et doux x Sauvetages
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La pensée ôte le dénivelé à accomplir (ou les mètres de nage dans les thermes) ; la pensée prend le corps par la main, et peut faire dépasser l’effort prévu ; tu as gravi, tu as nagé dix minutes de plus, car penser t’en a ôté la conscience.
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Bisses, côteaux
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La raréfaction de l’air en altitude empêche de trop respirer pour les raisons qui n’en valent pas la peine en plaine.
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Dîner à l’hospice; une Allemande singe de donner
Son dessert, pour moquer ma politesse à ses amies.
« Help yourself » pensé-je.
Alpes, yourtes, sylphes, assistez-moi.
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La randonnée est le récit libre que nous tenons à nous-même quand nous n’avons la concentration que d’aller et d’en secouer notre imaginaire : entre le début et la fin de la marche que notre corps nous donne, nous ne sommes plus la même personne et avons accéléré notre évolution, comme le personnage du roman a vécu entre le début et la fin de l’histoire : les pensées et personnages ont fait leur entrée dans le for intérieur (le forum où les pensées et personnes se croisent) et nous ont surpris dans notre imaginaire jusqu’à notre retour, fourbus comme après lecture d’un dialogue.
La randonnée était, à l’origine, le circuit de la bête poursuivie par les chasseurs.
Toi, randonneur par plaisir, qui te traque ?
Peut-être l’idée erronée que tu as de toi ; ou l’idée vraie de toi, mais qui te suit trop dans ton esprit ; ou le monde des humains, en ce qu’il menace ta vie intérieure.
Au fond, personne ne nous traque, et voilà ce qui fait interrompre la randonnée.
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Bétonne-toi de cimes
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Les sinuosités d’un col donnent à éprouver et à supporter ceux de la personne humaine : il y a du plat, des crêtes, des sentiers caillouteux et cassant les genoux. Telle est la nature humaine, qui mêle la lutte pour la vie à la politesse.
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Hameau de Colombire : se déprendre de ses déplaisirs.
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Bernard : « Alpinisme, danse de survie : un coup de piolet, et deux pas ; un coup de piolet, et deux pas. »
Mes définitions de l’alpinisme : occupation momentanée par l’Homme de ce que la montagne a rendu inhospitalier à tout vivant ; caresse de la peau nue et intime de la montagne ; désir du phallus ; exploration par l’Homme de ses propres capacités de dépassement ; plaisirs de l’astronomie offerts au plus grand nombre.
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Tombeau de la photomanie mondaine.
Chaque lien que tu tentes de nouer avec quelqu’un est aussi une chaîne de plus : tu veux savoir s’il va répondre, et s’il ne répond pas, il t’enchaîne à ton écran.
La photo mondaine est adressée à une foule via ton téléphone ; sans destinataire précis, elle trahit une crise de tes relations sociales : tu ne sais pas à qui tu plais, donc tu envoies tes activités préférées à tout le monde. Tu en fais profiter tout le monde, au sens ironique où personne ne trouvera cela entièrement profitable. Tu dissémines des bouts d’attention.
Seul devant les montagnes, un appel à un sculpteur qui fait des robots suffit, mais tu t’ajoutes des chaînes de messages, tu publies une photo sur les réseaux sociaux et tu t’en humilies, au sens fort de te river à la terre ferme de la plaine : tu es esclave de ceux qui voient ou non ton cliché, au milieu des montagnes qui sont autant de monuments magnifiques de l’absence des humains.
La photomanie, ton cilice. Tu la règles (selon une ou deux photos) comme le pénitent se fait mal en serrant plus ou moins fort le cilice pour mortifier sa liberté.
La photomanie est un besoin non nécessaire et tu y cèdes.
Une fois retiré du monde des humains affluents, tu sélectionnes des bouts de ta vie et les envoie aux humains affluents ; loin du monde, tu penses au monde.
Si tu répands le filet d’un cliché sur tes connaissances de la plaine, c’est que tu n’es pas heureux.
Si tu claironnes, c’est que tu es malheureux.
Si tu fais étalage, c’est que tu vends un cliché de bonheur.
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Hérémence, berceau de cathédrence :
Barrage anti-mondain,
Lac opalin comme main de silence,
Bordé de rives rocheuses comme une île sauvage,
Hâvre d’immensité.
Froid monde :
Roc de la sieste du bouquetin.
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Le chanoine Raphaël : « Faire présence sacerdotale au cœur de la maison. »
Comme un professeur modeste en école de la République.
Comme une mère de famille malade joue une sonate de Beethoven sur le piano du hall de son hôpital pour montrer l’exemple.
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Le Icare de Bernard : son bassin et ses jambes vers le haut dessinent une crête de montagne ; il y a des chutes ascensionnelles.
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Vingt et une heure, lecture en crypte : Complies ne ment pas, son glas te sied.
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Dixit le prévôt de la congrégation du Grand Saint-Bernard : à l’hospice, des hommes des Lumières venus étudier faune et flore devaient s’entendre avec des chanoines à la même table ; la survie entraîne la fraternité.
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Mêle-aises et painoramas
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La vie en société de la plaine mène au bouddhisme pour éviter de s’auto-détruire et conserver l’égalité d’humeur.
La montagne rappelle à la droiture et à l’intransigeance : gravir pour ne pas se trahir.
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Lac d’Oechinen
Oeuf, scheinen
Vaches buvant le lac turquoise
Glacier d’ardoise mourant
Mire-râcle
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L’humour est un moine à ski sans bâtons : crucifixion de joie qui glisse.
L’éveil est un enfant escaladant une statue de Bouddha.
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Zarastrer en escaladant les rhizoclimes
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Chez Marc à Saint-Luc, en son chalet croulant de livres, randon puis conversations, valant des oraisons : portrait de Mme de Talmont par Mme du Deffand compilé par Cioran ; Marc blâme les « Obséquieux avec les forts et orgueilleux avec les faibles » ; une anecdote sur Soutine sur qui on crache et qui dit : « Celui-là, je ne lui ai jamais rendu service ».
Adorer la montagne, mais surtout garder l’or de la raison. Ne gravir le val à l’horizon qu’en faisant des jeux de mots valorisants.
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Humagne x Magnétisme
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La crête relie deux versants,
La cime et le col,
L’ascension et la descente,
Face Nord et face Sud,
Le brouillard et le panorama ;
La crête relie la moraine et la crevasse,
Le glacier vénérable et les alpages hospitaliers ;
Il y a une ligne à arpenter
Entre réflexion et action,
Repos et exploration,
Entre la bonne conversation et le silence,
La prière et la contemplation,
Entre mon for intérieur et les autres,
Famille et amis,
Amour et absence ;
Il y a une crête à parcourir,
Comme le chemin d’un funambule,
Entre la foi et la raison,
Le risque et la prudence,
La lecture et l’écriture.
Et seul dans l’esprit humain ces crêtes se croisent :
Le petit sentier aperçu comme un tremplin vers d’autres cimes,
Et les mots rassurants d’un ami, fidèle ou imaginé.
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Bernard n’en peut plus des soupes communes de l’hospice : « Les guides de haute montagne sont solidaires, mais parce qu’ils sont potes. Il y en a un en difficulté sur la façade à côté, on va lui filer un coup de main.
Sinon, il n’y a pas de solidarité en montagne. Quand une équipe d’alpinistes voit qu’une autre va faire le même versant, elle se met à courir pour le monter la première, et il n’y a plus de : “Allez-y messieurs les Anglais.”
Dans les refuges, c’est pareil, tu pourrais attendre une certaine politesse par la haute altitude, et en fait, dès que quelqu’un est le premier à s’installer, il prend toute la place. »
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Quitter les brouilles pour les brouillons
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Râlade, subst. fém. : promenade où l’on dégoise sur les sujets désagréables qui se présentent à l’esprit afin que la marche agisse comme buvard avant l’écriture.
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