De la transmission

La transmission est le plaisir exponentiel d’édifier qui veut bien l’être ; de donner envie à l’autre, aussi, d’édifier.

Idéal des transmetteurs : « L’homme de génie est celui qui m’en donne. » (Paul Valéry, Mauvaises pensées et autres).

Joie des transmetteurs : des anciens élèves font du mentoring auprès des nouveaux.

Métaphore de la transmission : la « passe décisive » ; d’une bonne citation, d’une théorie mathématique vulgarisée, d’une pensée roborative.

 

« We don’t need no education » : d’un auteur d’albums-symphonies fils d’un instituteur objecteur de conscience, qui changea d’avis pour l’armée anglaise dans la Seconde Guerre mondiale.

 

Une classe de Français venus de plusieurs continents est comme le medley dans l’album Abbey Road des Beatles : chaque morceau a une personnalité très différente du précédent, mais leur suite reste une unité malgré tout, joué par un groupe où chacun met du sien.

 

Lapsus d’élèves : Jean de la Fable et le chevalier Négrieux ont bu leur vin de rigueur dans un cadre patio-temporel.

 

Emmanuel, Mylan et Sevin : des élèves mieux éduqués qu’un ou deux adultes censément leurs maîtres, et moins censeurs.

 

Mon frère : « Ce n’est pas il faut le faire, mais : le faire est un plaisir. »

 

La nouvelle pédagogie est l’art d’élever chacun en surveillant les difficultés intellectuelles, sociales et psycho-affectives de quelques-uns.

Pédagogie éprouvée sur des siècles : donner de l’appétence pour les grands textes et le calcul de problèmes conséquents.

 

Éduquer, c’est pervertir du bas vers le haut, et faire que sortir de soi fasse mieux et plus être soi-même.

 

Montaigne voulait une tête bien faite plutôt que bien pleine ; les démagogues veulent une tête vide, car une tête vide semble intacte.

 

La transmission des humanités en banlieue mondialisée est une voie rendue plus nécessaire par l’allophonie des quartiers, le désordre des classes et l’enfance des élèves.

Voie difficile, mais le bien n’est-il pas « ce qui est indispensable et difficile à la fois » (Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, I, De mille et une fins) ?

Cette voie remplace les armes blessantes pour les vérités désarmantes des grands écrivains – leurs récits qui sont des magasins d’incarnations, leurs maximes qui sont des étals de phrases mémorables ; pour semer la beauté et la naissance à soi-même.

Cette voie requiert du dialogue improvisé avec les élèves, des psychanalyses-minutes et un sourire invincible.

Les armes sont de belles chaussures, une veste cintrée ou une chemise légère, en plus du livre millénaire.

La déesse est Athéna-Minerve, celle de la guerre intelligente et de la pensée qui aguerrit.

 

Il y a les cours en classe et les projets extra-scolaires, comme aux piscines municipales il y a le bassin sportif et le bassin ludique.

 

Les meilleurs élèves des classes à l’ambiance molle ou ingrate semblent voler le savoir qui leur est transmis, répondant à voix basse quelque idée pertinente interprétant le texte, puis notant vite l’exploitation de cette idée par le professeur sur leur cahier.

La meilleure classe est celle où le plus paresseux a honte (aidôs) d’ignorer Demain dès l’aube et la photosynthèse, pendant que la timide trouve la force de lever le doigt pour participer.

 

Les démagogues se fichent du théorème de Pythagore ou qu’un homme se connaisse lui-même : ils veulent observer les  « progrès »,  « les innovations » et les  « nouvelles approches » par lesquels on fait découvrir ces vérités, et que les élèves s’ignorent eux-mêmes plutôt que d’y accéder par un cours magistral.

Leurs indications pour corriger les copies : une anaphore de « on n’attend pas » (que l’élève fasse ceci ou cela).

 

Le fantasme des démagogues est de serrer la main à une racaille pour montrer à quel point il était sot de la punir.

Comme ce fantasme en reste un, les mêmes démagogues font des conférences sur la misère de ladite racaille tout en évitant de la croiser dans la rue.

 

Les professeurs les plus complets cuisinent avec l’inné en y ajoutant du culturel.

Un Français d’origine indienne à qui on ne donne que les contes indiens est exclu de l’histoire de France.

 

Les démagogues refusent d’élever les élèves souffrant de quelque chose (une maladie, une origine sociale) : ceux-ci ne sauraient supporter une seconde souffrance par le travail.

Les sciences sont pourtant cette terre promise de l’oubli si bien exprimée par Montesquieu : « L’étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts de la vie, n’ayant jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé. » (Pensées diverses).

Les démagogues occupent donc les victimes par des jeux, les mettent en groupe afin qu’ils soient moins confrontés à leur propre individu, ou leur demandent d’imaginer une couverture pour les livres qu’ils n’ont pas lus.

Le démagogue a peur de trahir le moi profond de l’élève, et en le sanctuarisant il le trahit à jamais.

 

J.-S. Bach était si mauvais musicien qu’il recopiait des partitions de Vivaldi, comme un perroquet : misère des têtes bien pleines !

 

L’autorité pitoyable soumet et maintient l’auteur dans un état de minorité.

La vraie autorité est d’être auteur soi-même du plus de choses possibles : d’une expérience de chimie et d’un gâteau au chocolat, d’une lettre et d’une famille, d’une entreprise et d’une promenade ; et pour l’élève, de le rendre auteur de son silence et de ses paroles.

 

Pour chaque élève refusant de sortir après une insulte, il y a un stage de formation offert à l’enseignant pour être plus à son écoute.

 

En dépit de leurs malheurs, les professeurs sont méprisés, car ils sont des bourgeois riches de temps, comme il y en a de riches d’argent.

 

Les inspecteurs démagogiques imposent toutes les idées faisant perdre le contrôle d’une classe (discuter d’égal à égal avec les élèves, noter ce qu’ils disent sans distinction pour bâtir le cours, se féliciter des résumés qu’ils trouvent sur Internet au lieu de lire des livres) ; puis ils s’inquiètent d’une classe qu’ils n’ont pas vue contrôlée.

Ce sont des sergents qui désarment leurs soldats, et haussent les sourcils de voir des cadavres.

 

Le professeur normalien et agrégé qui dit « J’men bats les couilles » pour paraître cool à ses élèves devrait repasser ses concours et l’écrire sur ses copies.

 

Pour chaque universitaire qui déplore l’assimilation du citoyen européen aux cultures européennes, le racisme structurel de la société et les violences policières en France devant des étudiants triés sur le volet, il y a une classe de lycéens avec un élève rentrant de garde à vue, prêt à lancer des chaises aux murs, à le traiter de  « pédé » et à crier « Wallah, j’ai rien fait ».

 

En école française mondialisée, on est deux fois professeur de français : de langue française, et de l’être français, infusé dans la littérature : préférer la solitude d’un cloître à une passion avec le bellâtre Nemours, tomber amoureux en prison, s’enfermer dans une chambre pour écrire un roman-cathédrale.

 

Les pédagogues démagogiques lisent des poèmes de collégiens comme des chefs-d’œuvre qu’ils conseillent de lire à haute voix, comme Flaubert gueulant ses phrases, puis ils renseignent les élèves sur les préjugés xénophobes et sexistes des grands écrivains, tels que la misogynie de Flaubert.

 

Des parents et un éducateur peuvent transformer un adolescent qui ne sort pas ses affaires, n’écrit rien et bavarde tout le temps en un « élève précoce, hyperactif et surdoué ».

 

Le pédagogue démagogique a peur du petit caïd de banlieue, car celui-ci est deux fois mineur et sacré à ses yeux : mineur et sacré comme jeune, et mineur et sacré comme membre d’une minorité allogène de la société.

Le caïd est tout surpris d’abord de l’indulgence qui lui est faite, puis en cultive une insolence qui se sait insolente, un aplomb qui se sait impuni a priori. Il accueille chaque gentillesse du pédagogue comme autant de faiblesses venues du statut supérieur, bienveillant et civique du pédagogue, mais dont celui-ci fait de vraies faiblesses, par miséricorde pour ses différences sociales avec l’élève, par peur de la force physique de l’élève parfois, et aussi par crainte de paraître intolérant, crainte que le pédagogue a pour lui seul, et que le caïd apprend à manier comme une langue étrangère, car il suffit de parler cette langue de temps en temps pour qu’elle fasse effet :  « Faites attention aux préjugés / à l’humiliation / au racisme / à la discrimination / à l’inégalité / à la stigmatisation / à l’injustice ».

Grâce à ces formules quasi magiques, le caïd peut traiter un éducateur de fils de pute sans que cela soit pris pour une offense méritant une punition chevaleresque – on punit le caïd d’un conseil de discipline mais on le comprend, il a voulu « se défouler  » et il subit une « violence sociale » malgré tout.

La morale du caïd est celle du pédagogue, mais au second degré, et on comprend le caïd : c’est plaisant de jouer avec une conscience traumatisée à votre place.

 

La démagogie à l’égard d’élèves est une religion qui conçoit un divin enfant, et une immaculée conception de son savoir.

C’est un catéchisme où le texte devient prétexte, et le catéchumène l’objet même du culte.

 

Geoffroy, petit-fils de fermiers, décide d’abandonner le fromage de chèvre qui faisait le succès de la famille, et d’enseigner en école de banlieue que l’héritage familial entretient des injustices dans la société.

Une fois en vacances, il regarde un fils de sportifs banlieusards gagner la Coupe du monde de football, et il est content.

 

On enseigne par égoïsme : comme Emma Bovary remet le col mal mis à son mari, comme Bach rejouait la mélodie sans fausses notes à ses élèves, ou comme on apprend soi-même un poème génial pour charpenter sa cervelle.

Rien ne légitime la transmission que le sentiment d’être perfectible.

 

On a demandé à un aspirant violoniste, un aspirant footballeur et un aspirant chirurgien de  « participer activement à leur apprentissage » afin qu’ils deviennent autonomes selon la nouvelle pédagogie.

Le premier a joué faux en disant qu’il trouvait cela plus beau, le deuxième n’a dribblé personne pour éviter de répéter bêtement, le troisième a tué ses patients.

 

Le professeur tantôt en banlieue difficile, tantôt en vacances scolaires, est un oisif héroïque.

Devise du professeur vacancier : « Otium sine literis mors est. » (Sénèque)

 

L’ignorance s’apprend pas à pas et se justifie point par point autant que la curiosité : c’est l’élève déclarant que rien ne l’intéresse avant 2019, ou un pédagogue déclarant qu’on donne trop d’auteurs morts pour intéresser les élèves.

 

Pierre Bourdieu, fils d’agriculteurs, dénonça les inégalités sociales en France et devint professeur au Collège de France.

Rokhaya Diallo, fille d’Africains, dénonça les inégalités raciales en France. et intégra un conseil étatique et fut recrutée pour l’émission la plus regardée du pays.

Kylian M’Bappé, fils d’Africains de Bondy, ne dénonce rien, devient sportif comme ses parents, et fait gagner la Coupe du monde de football à son pays.

 

Tout laïc cultivé peut faire vivre Dieu chez un élève, et tout religieux républicain peut faire chérir la laïcité.

 

Aimer et éduquer par le biais de la littérature, apprend à aimer qui ne vous aime pas par les soins du langage et des grands écrivains, et à écouter autrui sans trop céder à l’émotion, par l’écoute de morts qui en diffusent beaucoup : à chaque affection naissante, à chaque élève à fréquenter, un auteur vous entraîne à parler, transmettant les aveux d’Hippolyte ou de la princesse de Clèves, que le transmetteur et l’élève tentent d’approcher en une transsubstantiation commune dans la salle de classe.

 

La France est moins connue de certains Français que la Palestine, Israël ou Arrakis.

 

Des professeurs excluent des élèves de la radiophonie de leur lycée ou d’un voyage scolaire, et pour s’en excuser ils écrivent en écriture inclusive.

 

Certains font des attentats où les gens explosent ; les meilleures lectures à voix haute sont des attentats faisant rentrer en soi-même.

 

Les professeurs ne devraient pas être des fonctionnaires heureux d’être en vacances, et devant lire des documents sur la psychologie de l’enfant pour être titulaires de leur poste, mais des bodhisattva laïcs, qui ont renoncé à l’éveil total pour éveiller les autres à cause de leur compassion.

Ils seraient plus respectés en balayant leur salle de classe qu’en parlant de séries télévisées avec leurs élèves.

 

Une école a bien réussi son œuvre lorsqu’un homme accompli s’amuse d’y avoir échoué.

 

Le fayot n’est pas aimé car il ne va à l’école que pour être admiré ; nous allons aussi à l’école pour devenir aimable et modeste.

Aussi les gens les plus aimables savent apprendre toujours, se faire petit comme les enfants, et faire du quidam une école à part entière.

 

Les professeurs à moitié démissionnaires parlent en anglais de cuisine, abdiquant la langue qu’ils enseignent plutôt que leur poste d’enseignant.

 

Pour quiconque veut s’élever, le slogan Jouir sans entrave est une invitation à l’hubris : les plus grandes jouissances vivent d’entraves.

La plus belle éducation essaie qu’il soit interdit d’interdire, mais tant qu’aucun progrès n’est observé, elle interdit tout ce qu’un humain exemplaire s’autorise entre deux heures de progrès.

 

Certains professeurs débattent des dates de l’examen blanc tout en ignorant si leurs élèves sont de leur civilisation.

Quelle que soit la civilisation, toute classe peut devenir une minorité agissante qui apprend en s’amusant.

 

Les professeurs les plus dynamiques, au sens propre du terme, transforment un lycée de la République en centre aéré à l’année, par des sorties scolaires une semaine avant le baccalauréat, des ateliers suédois ou italien d’une matinée, ou des voyages scolaires pour lesquels ils peinent à trouver des élèves volontaires.

Ils constatent la lutte des classes, mais par ces moyens, ils enlèvent des heures d’apprentissage à des élèves plus pauvres qu’eux.

Ils sont marxistes, mais inconséquents ; marxistes de bouche.

 

Si je migre en Iran, je veux que les professeurs me montrent les moyens de devenir cinéaste avec le sérieux d’un bon commerçant de pistaches.