Sanatorium

Médaillon avec portrait d’homme et papyrus, Herculanum, 55-79 ap. J-C.

 

Pour moi-même.

L’écrit auto-sanitaire : un bain glacé de notes, les plus courtes possibles, pour laver les pores de la pensée et préparer à mieux dire.

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Quand tu veux juger ce que tu as pensé ou dit, écris-le.

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Il est préférable de discuter au téléphone avec un ami qui pense et s’exprime bien, plutôt que de conclure avec un rendez-vous galant qui vous censure et s’exprime mal.

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Mon parapluie de Cherbourg est tellement beau que j’en désire la pluie.

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Le bonheur, c’est des enfants qui se racontent des blagues dans un dortoir parce qu’ils n’arrivent pas à dormir.

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Fuir les aliments ultra-transformés, et aussi les cœurs ultra-transformés.

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Le sommet de la santé est d’éteindre le réveil une minute avant qu’il ne sonne, après avoir dormi.

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A la suite de Victor Hugo : Car une bibliothèque, qu’on le sache, est un être vivant.

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Se sentir élu, non par les autres, qui pensent d’abord à eux, mais par chaque instant de la vie.

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Une opération du Saint-Esprit est avant tout une opération.

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Le chewing-gum, hostie profane.

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Une religion séculière assez bonne est de sentir une sacralité dans chaque instant de la vie.

Comme la lumière d’hiver se dépose sur les objets et les met en valeur.

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Un désir bien dit est comme un vêtement bien repassé.

Satire.

Déstresser de la vie sociale : c’est comme aller au marché ; plus il y a d’étalages, plus c’est amusant, et moins c’est à prendre au sérieux ; laisser seulement un commerçant souriant.

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Plus une idéologie a tort, plus elle s’enferme dans un cercle fermé afin d’éviter sa réfutation par autrui et persévérer dans la jouissance de son erreur romanesque.

C’est la différence entre un apéritif entre militants sectaires, qui ont repéré parmi les nouveaux venus ceux qui sont à garder hors du clan, et une soirée de trente personnes libérales, et surtout libérales de leurs pensées.

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Les mortels ont besoin de drame en façade, tout en souhaitant rester en vie, comme les pigeons restent à courir devant une voiture plutôt que de s’envoler, afin de s’illusionner d’un risque. Parfois le drame l’emporte malgré cette affèterie originelle et la collision est mortelle.

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Je n’ai pas envie de ressembler à Véronique l’alcoolique, mais non plus à un donneur de leçon sobre et lénifiant, qui fait passer une limonade pour un miracle.

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Une élève qui fait tomber un livre sur Confucius de son sac donne plus d’énergie qu’une journée de ski à cinquante euros.

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Je n’ai pas pris le train avec mes collègues mais avec Ravel et Lichtenberg.

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“Un tel m’a dit des trucs borderlines”, “un tel va me draguer” : elles rejoignent le cortège de celles qui voient des géants dans les moulins à vent.

Au moins ne pas devenir dingue.

Rester rationnel.

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Ataraxie de salon : éviter de parler à un collègue un matin pour se prémunir de ses mauvaises ondes : quel motif de se plaindre, qu’est-ce qui a dysfonctionné, quelle explication à donner pour renoncer à ce projet, etc.

A ne pas confondre avec le totémisme de salon, qui consiste à bannir ou “cancel” quelqu’un à raison de ses opinions ou de ses attitudes.

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Parler politique en partisan est le réflexe le moins urbain possible. C’est un tic de provincial au sens péjoratif du terme. Un Parisien qui excelle, Edouard Baer, dandy qui peut parler de tout avec élégance et humour, sans faire de mal à personne l’a-t-on jamais vu parler de politique avec véhémence et dogmatisme ?

Celui qui le ferait devant lui serait adouci par un euphémisme, ou une hyperbole, ciblant la grossièreté de son parti pris, et heureusement pour la qualité de la conversation. Mieux vaut parler de la Renaissance ou de l’Italie.

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Une nuit dans une chambre de bonne avec une intellectuelle bonne vivante est supérieure en intensité à un bal costumé dans un château.

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Ne pas faire bonne figure au détriment de la sincérité : parler avec un sourire sincère et en bon français donne la meilleure figure.

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Un étudiant en microtechniques buvant pour la première fois du café pendant un atelier d’écriture donne plus de plaisir qu’un petit four acquis de haute lutte au buffet d’un événement par cooptation.

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La contre-méritocratie : plus tu cochonnes le travail et plus les psycho-socio-logues te donnent des arguments pour rester médiocre.

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« J’ai eu un red flag avec mon crush pendant un date mais je me suis retrouvé dans une situationship parce que j’étais sous emprise. »

Ils jouent à un jeu vidéo en anglais de cuisine, plutôt que de pratiquer leur langue natale qui est aussi l’une de l’amour.

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En banlieues non francigénées, l’islamisme fournit la doctrine et le vandalisme l’hérésie, mais ce modèle perdure en ce que la doctrine a besoin de l’hérésie pour subsister dans sa droiture.

Owen, tortionnaire de Raphaël sur des vidéos en direct, a déclaré que la religion lui avait inculqué “le sérieux dans le monde du travail”, et peut ainsi étrangler un mécréant, qui fume trop de cigarettes et “sort tout le temps”, sans y voir de contradiction.

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Hedvig est une franco-suédoise qui a rencontré son mari lors d’un cours à Sciences Po de mon père. Elle croise ma mère un matin dans un café et lui conseille le marché de Noël à l’église suédoise. Je me retrouve avec ma mère un dimanche à acheter un saumon fumé et à boire du vin chaud en fin de journée dans la cour d’une église.

La vie est faite d’imprévus.

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Ryan, ancien élève de Première, voit passer deux clients parlant russe dans un café : « Ce sont des oligarques russes, ils viennent de signer une addition à 6 chiffres. »

La puissance de l’imaginaire venge de l’inaccès à d’autres milieux que le nôtre.

Et comme Beethoven disait qu’il y aura toujours des princes, mais qu’un seul Beethoven, il y aura toujours des oligarques, mais qu’un seul Ryan, avec son imagination.

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Un éducateur dans les Batignolles : « Abdul, c’est la combientième fois que je te le dis ? »

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Les jeunes que je côtoie hormis ma soeur : plus on leur fait des compliments pour les encourager, moins ils vous parlent. « Il me complimente, pense le jeune collègue, il est donc conquis. »

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Une amie féministe n’a pas apprécié une autre amie : « Cette fasciste hystérique m’a cassé les ovaires. »

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Il y a des gens pour continuer à les voir il faut se diminuer : dire moins franchement, déguster moins, boire moins, vivre moins.

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Aux concerts de la fondation Singer-Polignac, les serveurs du buffet sont plus polis et spirituels que les invités. Ils savent dire sans dire (qui fait l’aspirateur, qui mérite d’être servi une seule goutte pour rigoler, savoir moi).

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Marc est parfois si éloquent qu’à l’entendre râler on croit arpenter une roseraie.

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J’étais sensible à ce que P. proposât un bar dans Paris ce soir, mais j’avais aussi envie de lui casser la gueule : bien chez moi avec de bons livres.

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Chaque fois qu’elle discute avec des collègues imposés par l’heure, Mireille sait tenir salon.

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Dieu, poupée des hommes, qu’ils habillent à leur désir.

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La vie moelleuse des chercheurs : comparant Confucius et Spinoza, ou annotant tout Alfred de Vigny, ils ont des doutes sur le retentissement de ce qu’ils écrivent.

Ils pourraient davantage stimuler d’autres esprits à lire Confucius, Spinoza et Alfred de Vigny.

Sur la moquette de la Bibliothèque Nationale de France, ils semblent des êtres de porcelaine, marchant prudemment, comme s’ils allaient se casser en morceaux.

Au coin café, le directeur de thèse donne la bonne parole à son étudiant en visioconférence : “so we describe women as a power of corruptency in the society”.

Les chercheurs en sciences humaines sont des êtres de frontières, posant celles-ci entre eux et le monde : les grosses lunettes, la prostration, l’anglais, les écouteurs, puis les idées.

Frontières leur permettant de garder le monde selon leur confection mentale.

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Paris, Africains tantôt endimanchés, tantôt en claquettes et portant le même sac Basic Fit, croisant des Celtes barbus en pantacourts sophistiqués, sans se regarder (sauf pour leur livrer de la nourriture moyennant finance). « Comme défilent les stormtroopers ! » me dit Carmen l’Espagnole en visite à Paris.

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Venue d’une humanité non baisante ; mais la postmodernité invente des univers pour qu’elle soit heureuse chastement : les spas, le décorum tropical dans un club, la réalité virtuelle.

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Leitmotiv de catholique de gauche : « Tu ne veux pas finir le gâteau ? bon, je m’en sers qu’un petit peu ! », et la catholique de gauche mange tout.

La contrition pour le plaisir rend chaque plaisir plus gros qu’il n’est.

Autant bien déjeuner seul comme un moine silenciaire.

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L’hétaïre moderne : hypersensibilité de son propre corps et esprit, mais aucune de celui des autres. Relation « non-exclusive » plutôt qu’un incipit romanesque à la relation : crois-tu vraiment que parce que je t’ai donné ceci tu vas avoir cela ?

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Un zonard près des Puces de Vanves : « Niquez bien vos sales races de merde ».

Le logos infernal, si l’Enfer existe : saturé de grossièreté, pornographique dans l’agression verbale, adressé à l’univers français.

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La militante Rokhaya Diallo : « Quand Guerlain a déclaré que les nègres n’ont jamais trop travaillé, j’en ai eu marre de cette stigmatisation au quotidien ».

Traduction : j’ai regardé une seule stigmatisation par un vieillard milliardaire à la télévision, et j’ai senti qu’en parler serait profitable à ma carrière.

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Les idées que les gauchistes professent (l’égalité, la justice) les excusent de celles qu’ils appliquent : donner des leçons à leurs égaux comme à des inférieurs, croire détenir le Bien contre le diable, et croire aussi que le Bien et le diable n’ont qu’une seule définition (la leur).

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Laurent Baffie est contre la chasse : il aime trop l’exercer sur les hommes devant des millions de téléspectateurs.

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Je t’aime signifie parfois merci pour les orgasmes et les voyages.

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Ils ont un téléphone portable à la place des couilles.

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Tare française : croire qu’on fait quelque chose pour le regard d’autrui, toujours.

Je vais écouter Mozart pour montrer mes goûts bourgeois, je parle de football pour montrer que je reste proche du peuple, etc.

Si vous conviez à dîner, c’est pour attirer l’attention sur soi, et non réunir et partager.

Une force de ressentiment empoisonnant la vie plus organique de la société.

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Idée de toile : métro, un lecteur de tweets assis et un homme avec Ulysses debout.

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Je ne fréquente pas Saint-Denis car il n’y a pas assez de diversité.

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Marcadet-Poissonniers, comptoir africain.