Marilou arrive à la soirée d’une petite bande d’amis, s’assied par terre essoufflée, et fait taire tout le monde en racontant son « midnight quickie » de la nuit dernière. Elle a gardé un compte sur le site Adopte un mec même si elle n’y est plus très active, et c’était un soir de disette : « Un rencard foireux, dit-elle, mais bon, j’avais envie de baiser ! »
Après quelques verres, la conversation glisse sur des migrants morts ce matin en Méditerranée. « Non mais tu te rends compte ? dit Marilou. Attends, qui est-ce qui les laisse crever, à ton avis ? Tu crois qu’on n’a pas une responsabilité ? »
Marilou croit en un monde meilleur et se plaint de ses plans-culs. Elle appelle « oppressif » un homme qui fait une généralité sur elle, et « racisés invisibilisés » tous les immigrés de France. Elle trouve malsain qu’un beau gosse lui ait tenu la porte, et quitte la soirée si on dit que des migrants harcèlent à La Chapelle. Elle en veut à son dernier coup d’un soir de rester plus de six heures chez elle, et voudrait que les Africains puissent mater comme elle des séries sous un plaid. Elle dénonce les préjugés sexistes de ses conquêtes sur Twitter, et souhaite aux réfugiés un bon taboulé Monoprix en attendant des matchs Tinder. Un violeur clandestin est pour elle un exclu de la sexualité, et l’indigne moins qu’un père offrant des jouets bleus et roses à ses enfants. Les violences amoureuses l’inquiètent chez les couples de Paris, et les truands subissent à ses yeux des violences symboliques ou carrément policières. Elle appelle le migrant « l’Autre » avec un grand A comme son amour, et rit d’avoir oublié le prénom d’un récent « partenaire ».
Marilou veut donner des papiers à tous les « exilé.e.s », et ne répond plus au « mâle blanc cisgenre » d’hier soir. Elle ne reste pas dormir et voudrait loger tous les Érythréens. Elle oppose à ses conquêtes de nouvelles frontières, et n’en veut plus la moindre pour quiconque a pris la mer.
Marilou caresse son bon sauvage en esprit et surveille ses mâles blancs sous les lits. Elle parle chaque jour de l’opprimé, et passe ses nuits dans les bras de l’oppresseur.
Comment ai-je pu désirer Marilou ? Désormais je lui paierais volontiers un bateau pour la mer ; pas pour une croisade, mais pour une croisière.