Le voyeur pudibond

Gaspard ne voulait rien voir, mais a tout vu – des exécutions à la hache, un viol et meurtre au pic à glace, des femmes mangeant leurs excréments, des cadavres d’hommes mangés par les vers, des finales de Wimbledon et des postérieurs des cinq continents sur cinq angles au choix. Quand il rentre de l’université Paris 8 et se retrouve seul, tout se prononce, se partage et s’autorise. Il pense lui-même qu’avec Internet « tout est à tous », comme Saint-Paul le disait de Dieu, et il se réchauffe chaque soir à la barre de téléchargement, attendant le vinyle de krautrock et l’orgie slovaque enfin piratés.

Gaspard en parlant se gratte les cheveux ou les omoplates, baisse les yeux à terre : il est fuyant ou poli à l’excès. Il dit qu’il n’est esclave de rien, et semble esclave de ses propres yeux. Sa cinéphilie le tétanise. La moindre main de femme posée sur son bras lui donne des bouffées de pudeur et une nuit d’insomnie. Chaque fois qu’il rencontre une étudiante, il vérifie les portes ouvertes pour n’être soupçonné de rien. Il ne connaît pas d’autre code d’amabilité pour discuter avec elle que celui qu’il emploie pour son oncle. Et il se répète qu’elles ne sont pas comme dans les films où il en voit de nues, qu’il faut tenir haleine à leur élégance, les éloigner de tout soupçon de lubricité, et demander sans trouble si elles ont bien installé la fibre optique dans leur nouveau T2.

En voyage à Barcelone, Gaspard lâche ivre à ses amis : « Qu’est-ce que j’aurais aimé prendre le numéro de la Française qui a voulu discuter, y en a des centaines comme elle dans ma vie ». Mais lorsqu’à la rentrée il rencontre deux universitaires qui ne dansent qu’en réunions non-mixtes et pour de nouveaux droits, il se dit « inquiet » de la « culture du viol » avec elles, parle du harcèlement et des hommes qui écartent trop les jambes dans le métro, pour continuer à leur parler ; revenu chez lui, il veut se libérer des actrices qui leur ressemblent. C’est un carcan qui le fait trembler devant la vraie nudité plus longtemps que le fermier et le marquis du XVIIIe siècle.

La pornographie recouvre si bien Gaspard, qu’il a débuté son éducation sentimentale pour s’en éloigner. Il sort avec des femmes pour s’échapper de la pornographie, comme ses arrière-grands-mères voulaient s’échapper du couvent.